Premier pays exportateur de cacao au monde, la Côte d’Ivoire compte toutefois peu de plantations de cacao appartenant à des femmes. Découvrez le parcours de Kpomin Minrienne Kole Edi, une productrice de cacao et entrepreneuse à succès qui a brisé le plafond de verre, en aidant les productrices de sa communauté et en plaidant pour des politiques de soutien aux petits producteurs et à leurs communautés. Voici son histoire.
Madame Edi, benjamine de sa famille, a dû convaincre son père de lui céder un petit terrain en friche situé sur l’exploitation familiale de cacao. Sa fratrie ayant hérité des terres arables, ce terrain était tout ce à quoi elle pouvait prétendre. À force de travail et de persévérance, elle a restauré cette parcelle abandonnée pour en faire une surface propice à l’agriculture. Alors que les femmes de sa communauté faisaient principalement pousser des cultures vivrières, produisant juste ce dont elles avaient besoin pour nourrir leurs familles, forte de son état d’esprit entrepreneurial, Madame Edi s’est rapidement tournée vers des cultures commerciales, comme le cacao, le café et le teck. Le but pour elle n’était pas seulement de gagner de l’argent, mais également de montrer à sa communauté qu’elle, en tant que femme, en était capable.
En parallèle de son travail sur l’exploitation agricole, Madame Edi est parvenue à terminer son cursus au lycée et à se former en informatique. A cette époque, elle pensait se diriger vers une carrière dans le secrétariat, mais elle est tout de même revenue à l’agriculture. « Je voulais travailler pour moi-même », nous a-t-elle confié.
Former et améliorer les revenus des cacaoculteurs
En Côte d’Ivoire, les cultivatrices de cacao ont un accès plus difficile aux coopératives et autres structures communautaires. Et même lorsqu’elles parviennent à devenir membres, les hommes les maintiennent à l’écart des processus décisionnels.
« Les parents n’envisagent pas de céder des terres à leurs filles car ils estiment qu’une fois mariées, leurs maris s’occuperont d’elles, » nous a expliqué Edi. « Mais qu’advient-il d’elles en cas de divorce et si l’héritage familial est entièrement attribué à leurs frères? »
Pour lutter contre ces inégalités entre les sexes, Madame Edi a créé une association de cultivatrices de cacao et épouses de cultivateurs de cacao souhaitant trouver des solutions pour gagner leurs propres revenus entre les saisons de récolte. Cette association de femmes, s’étendant sur sept villages, offre à ses adhérentes une aide pour se former sur l’activité avec laquelle elles veulent générer des revenus supplémentaires. Cette association a depuis été transformée en coopérative, présidée par Madame Edi, et baptisée SCAFRA (Société Coopérative Fraternité d’Adzopé).
Lutter contre le travail des enfants et les inégalités entre hommes et femmes dans le secteur du cacao
Faisant partie des rares femmes à la tête d’une coopérative agricole en Côte d’Ivoire, Madame Edi a rencontré des défis considérables. « Je n’ai rencontré qu’une seule autre responsable de coopérative », a-t-elle précisé. La compétition avec les hommes présidents d’autres coopératives a pu être rude, et elle a parfois rencontré une vive opposition de leur part. Mais au fil du temps, nous a-t-elle confié, la plupart d’entre eux ont accepté qu’elle puisse être à la tête d’une coopérative et à ce jour, la SCAFRA compte à la fois des hommes et des femmes parmi ses membres.
Le travail des enfants est un autre problème récurrent auquel le secteur est confronté. Pendant des années, les exploitations affiliées à sa coopérative œuvraient inlassablement pour protéger la jeunesse, avec peu d’effet. De nombreux membres avaient besoin d’être rigoureusement formés et informés mais la coopérative n’avait tout bonnement pas les ressources nécessaires.
Le soutien financier de l’Africa Cocoa Fund
Puis en 2021, la coopérative qui comptait alors 355 membres a reçu un financement de la part du Africa Cocoa Fund (ACF), mis en place par Rainforest Alliance, une initiative mise en place sur trois ans pour aider les cultivateurs de cacao à mettre en œuvre le Programme de certification Rainforest Alliance et préserver les territoires d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest.
Madame Edi nous a expliqué que l’ACF s’est avéré très utile en permettant notamment à la coopérative d’appliquer le système d’Évaluation et Résolution pour lutter contre le travail des enfants. Cette approche holistique inclut notamment la formation des membres de la coopérative, afin de les aider à identifier et atténuer les risques liés au travail des enfants, organiser des activités de sensibilisation dans l’ensemble de la communauté, et réaliser des enquêtes auprès des familles de la communauté pour savoir si certains de leurs enfants devraient être à l’école.
L’ACF a également aidé la coopérative à investir dans des activités économiques menées par des femmes, notamment dans les domaines de la production de fruits et légumes comme le manioc ainsi que dans l’élevage de volailles, grâce à l’achat de 3,000 poules. Les producteurs ont ainsi pu bénéficier d’une meilleure sécurité financière, ce qui a permis aux parents de régler les frais de scolarité des enfants et d’embaucher de la main d’œuvre pour travailler dans les plantations. Plus tard, la coopérative a reçu un financement supplémentaire de la part de l’ACF qui a été utilisé pour développer les élevages de volailles, avec l’achat d’un véhicule et de nouvelles poules pour remplacer les poules vieillissantes.
Faire entendre la voix des petits producteurs sur la scène internationale
En partenariat avec l’équipe de plaidoyer de Rainforest Alliance, Madame Edi et quatre autres représentants de petits producteurs de pays et de secteurs différents ont partagé leurs expériences lors d’un événement à Bruxelles avec les législateurs européens. Cet événement s’inscrivait dans le cadre des efforts visant à influer sur l’élaboration de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, une directive qui obligera les entreprises à exercer une diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement dans leurs chaînes de valeurs.
Les représentants des petits producteurs agricoles invités à l’événement ont tous souligné l’importance d’inclure dans la directive des mesures qui amélioreront les moyens de subsistance des cultivateurs et de leurs familles. Madame Edi a notamment raconté comment les membres de sa coopérative agricole pouvaient se retrouver avec une grande quantité de cacao invendu du fait du non-respect des contrats par les exportateurs, une pratique abusive répandue dans des chaînes d’approvisionnement dans lesquelles les acteurs de l’amont ont peu de marges de négociation. Cette pratique force les coopératives à vendre le cacao restant à de petits intermédiaires à des prix largement inférieurs, entraînant une perte de revenus et d’éventuelles difficultés pour le remboursement de leurs prêts.
Madame Edi s’est dite surprise que les décideurs politiques européens aient pris le temps de l’écouter. « D’abord parce que je suis noire, et aussi à cause des préjugés que subissent les Africains, » a-t-elle expliqué. Par ailleurs elle n’avait jamais vu de petits producteurs participer directement à des processus décisionnels dans un Parlement.
Si leur message est entendu, nous a-t-elle dit, alors la future directive pourraient contribuer à des emplois viables dans des pays comme la Côte d’Ivoire et ainsi freiner les vagues d’émigration mortifères. Assise face à un panel de décideurs politiques européens, Madame Edi a conclu son discours par un message fort: « Je demande aux membres du Parlement européen de prendre en compte nos doléances et de ne pas les oublier au sortir de cette réunion. Je ne me tiens pas devant vous en tant que Madame Edi, mais en tant que représentante des producteurs de Côte d’Ivoire. Pensez à nous, petits producteurs, démunis, pauvres que nous sommes, et faites quelque chose pour nous. »